Histoire des étalons
Deux siècles de métrologie au Conservatoire national des arts et métiers
par Marc Himbert, Directeur scientifique du Laboratoire Commun de Métrologie.
C'est le calendrier révolutionnaire qui réunit sous le même millésime le décret de Convention nationale du 19 vendémiaire an III, instituant le Conservatoire, et la loi du 18 germinal an III "relative aux poids et mesures", instaurant en France l'usage du Système métrique et de la division décimale des nombres.
Il fallut néanmoins près de cinquante ans pour que s'impose dans le tissu agricole, artisanal et préindustriel du pays l'usage des nouvelles unités de mesure, et un délai tout aussi long pour que la puissance publique confie officiellement au Cnam des responsabilités nationales dans le domaine de la métrologie.
Riche de près de deux siècles d'expérience et de travail scientifique en métrologie, l'établissement assure aujourd'hui encore l'exercice partagé de ces responsabilités nationales.
Un rayonnement international dès le XIXème siècle
Développer les étalons matérialisant les unités métriques nouvellement instituées et contrôler l'étalonnage des instruments sont deux activités correspondant au souci des fondateurs du Cnam de servir l'industrie et le commerce en conservant, présentant, mettant à disposition du public des modèles et outils modernes adaptés aux arts et métiers. Dès 1795 A. Vandermonde, l'un des premiers démonstrateurs, a fait effectuer des copies de l'étalon de longueur dit "mètre des Archives", en cours de raccordement à l'unité désormais liée à la longueur du quart nord du méridien terrestre. Mais c'est seulement le 28 avril 1848 que le long processus réglementaire initié à l'époque révolutionnaire dans le domaine de la métrologie aboutit tout naturellement au transfert officiel au Cnam du Dépôt central des étalons et prototypes. A ce titre, le Conservatoire va piloter, à partir de 1850 et jusqu'en 1868, un vaste programme de vérification des étalons métriques départementaux.
Sous l'impulsion de Morin, professeur de mécanique depuis 1839, et surtout de Tresca, un laboratoire d'essais de machines s'organise peu à peu; ses travaux sont décrits dans les Annales du Conservatoire impérial des arts et métiers créées en 1861. Mais l'amélioration de l'exactitude des mesures dimensionnelles conduit les scientifiques à remettre en cause la pertinence de la définition géodésique du mètre promulguée en 1795. Une commission international du Mètre, dotée d'une section française dont les administrateurs et scientifiques du Cnam (A. Morin et G. Tresca) sont les pivots, fut mise en place.
Le rôle technique joué par le Cnam dans l'élaboration de la convention du Mètre (20 mai 1875), traité international qui regroupe aujourd'hui presque la totalité des états, est considérable. On doit à H. Tresca le profil en X du prototype international du mètre, dont l'étude constitue l'une des premières reflexions scientifiques sur la notion de fibre neutre en mécanique des solides; on doit aux métallurgistes du Cnam (3) la réalisation des premières coulées de l'alliage de platine et d'iridium susceptible d'être retenu, compte tenu de son inaltérabilité, en vue de réaliser les prototypes internationaux du mètre et du kilogramme (4). Dans les années qui précèdent l'établissement opérationnel du Bureau international des poids et mesures (BIPM), le conservatoire assure en fait, pour le compte de la Commission Internationale comme en témoignent les procès verbaux d'étalonnages disponibles, de nombreux raccordements d'étalons nationaux au profit d'états dans le monde entier. A la fin du siècle l'inventaire liquidatif de la section française (5) garde trace de la réalisation de 40 kilogrammes et 57 mètres à traits, diffusés pour la plupart hors de France.
Mais la foi des initiateurs disparaît avec eux, et seuls les travaux de J. Violle, professeur de Physique ayant donné son nom à l'unité d'intensité lumineuse autour des années 1900, témoignent de la permanence d'une activité métrologique au Cnam à l'aube du vingtième siècle, et en particulier d'une approche expérimentale de l'enseignement de la physique au Cnam.
La création au Cnam du Laboratoire National d'Essais (LNE)
Pourtant, c'est au sein du Conservatoire que d'importantes réformes administratives vont créer en 1901 un Laboratoire national d'essais (LNE) au service de l'industrie. Alors que nos partenaires allemands et britanniques avaient mis en place un grand établissement unique de métrologie et d'essais (aujourd'hui le "Physikalisches Technisches Bundesanstalt" (PTB) et le "National Physical Laboratory" (NPL), les atermoiements du pouvoir, le souci de ménager des intérêts corporatistes, l'existence d'une situation potentiellement concurrentielle dans certains secteurs conduisent à ne consentir au L.N.E. dans les premières années que des moyens forts limités (6).
Conformément à sa mission, ce service du Cnam s'efforce de mener à la fois des activités de recherche métrologique, sous la direction de A. Perot, et des activités de contrôle et d'essais. Les recherches sont principalement liées à la spectroscopie atomique, qui est aujourd'hui à la base de la métrologie du temps et des longueurs (7); elles sont réalisées en collaboration avec le physicien CH. Fabry et ne peuvent, structurellement, assurer leur autofinancement. Pourtant l'équipe scientifique se reforcent: J. Lemoine, professeur de physique, attire au Cnam P. Fleury en 1932,gràce à l'intervention financière de la chambre de Commerce de Paris. C'est ce dernier qui dispense en fait le premier enseignement structuré en "métrologie". Des bâtiments spécifiques, qui abritent aujourd'hui encore l'I.N.M., sont construits dans l'ancien cloître du prieuré de Saint-Martin-des-Champs pour accueillir les activités "primaires". Mais le développement des essais conduit l'établissement à mobiliser une part prépondérante de ses moyens autour d'activités plus routinières, hébergées dans un bâtiment en briques édifié dans la cour Vaucanson. Celles-ci ne présentent guères d'intérêt scientifique, et s'avèrent économiquement non rentables, faute d'une autonomie financière qui aurait permis d'investir dans une perspective industrielle. Dans l'entre-deux guerres, l'effectif important du groupe des "dames vérificatrices des thermomètres médicaux" en fonction au Cnam, établissement de formation supérieure, est une illustration caricaturale de la situation.
Les autorités de tutelle prennent rapidement conscience des difficultés de cette coexistence entre activités à finalités si différentes. Il faut toute la détermination de G.A. Boutry, nommé directeur du LNE en 1936 puis professeur en 1944, pour tenter de dynamiser l'institution. Il parvient à obtenir, en partie grâce à la Ville de Paris, la mise à disposition de locaux neufs rue Gaston Boissier (Paris XV), locaux qui aujourd'hui encore accueillent le siège de L.N.E.
L'émergence d'un pôle de formation et de recherche en métrologie
Après une longue période d'incertitude, un politique nationale de métrologie plus cohérente est mise en vigueur à l'instigation de P. Aigrain, qui fait naître en 1969 le Bureau national de métrologie (B.N.M.)(8). Simultanément est créé au Cnam un laboratoire dénommé "Institut national de métrologie" (I.N.M.)(9), à l'initiative de A. Allisy, qui est le premier titulaire nommé sur une chaire de Métrologie alors instituée. Le professeur de métrologie oriente résolument les activités vers la recherche et le transfert en métrologie scientifique et primaire.
La poursuite d'une tradition vivante
Le Cnam et le Laboratoire national d'essais collaborent aujourd'hui avec les organismes français historiquement chargés des moyens métrologiques pour l'autres grandeurs; l'Observatoire de Paris, le Laboratoire central des industries électriques, et le Commissariat à l'énergie atomique , dans le cadre du Groupement d'intérêt public (GIP) qui a redéfinit le Bureau national de métrologie (BNM) en 1994.
Bien évidement la métrologie n'est pas absente des préoccupations d'autres composantes de l'établissement: le Musée des arts et métiers (10), la bibliothèque (11) ou le centre de documentation sur l'histoire des techniques...
Chronologie
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An III - Création du Cnam et première loi sur le système métrique.
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1848 - Le Cnam accueille le dépôt central des Etalons et Prototypes.
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1875 - Le général Morin, directeur du Cnam, pilote la mise en place de la convention du mètre. Le Professeur Tresca établit le profil du mètre prototype.
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1901 - Le Laboratoire National d'Essais est créé au sein du Cnam.
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1932 - Premier cours de métrologie par le Professeur P. Fleury.
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1968 - Le professeur A. Allisy, premier titulaire d'une "chaire de métrologie", crée l'Institut National de Métrologie, l'INM.
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1994 - Création du groupement d'intérêt public "BNM". dont le Cnam est membre fondateur.
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2005 - Le LNE fédère la métrologie française
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2010 - Le Laboratoire Commun de Métrologie est créé.
Références bibliographiques
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1 - Loi n°749 du 18 germinal an III.
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2 - Arrêté du ministre de l'agriculture et du commerce en date du 28 avril 1848.
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3 - En collaboration avec le chimiste H. Sainte-Claire-Deville travaillant à l'Ecole normale supérieur.
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4 - L'alliage préparé en Grande-Bretagne par Matthey fut finalement préféré à la coulée du Cnam en 1877 pour la réalisation des prototypes internationaux; s'il est établi que la pureté chimique de cet alliage était meilleure, aucun écart signiicatif n'a été observé à ce jour, semble-t-il, entre les étalons de masse élaborés à partir de l'alliage Cnam et les étalons "Matthey".
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5 - Payen (J.), "la laborieuse liquidation de la section française de la commission internationale du mètre", Centre de Documentation d'histoire des techniques - Cnam, NS DOC, 2623, Paris 1991.
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6 - Bernard (M.Y.), le conservatoire national des arts et métiers; vers le XXIème siècle. Paris, Eyrolles, 1994
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7 - Himbert (M.) "Le mètre, l'aventure continue ...", Bulletin du BNM, 1993, vol.93, pp 3-15. Paris Chiron.
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8 - Décret du 28 mai 1969.
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9 - Arrêtés du 2 octobre 1968 et du 7 janvier 1992.
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10 - Le musée a organisé de nombreuses expositions temporaires spécifiques aux poids et mesures, par exemple "l'aventure du mètre" en 1989.
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11 - La bibliothèque et les services de l'université héberge désormais la collection historique d'ouvrages de métrologie mise en dépôt au conservatoire en 1990 par la sous-direction de la métrologie au ministère chargé de l'industrie.